Vous ouvrez un onglet pour répondre à un message, jetez un œil à vos mails, puis revenez au document que vous rédigiez. En moins d’une minute, vous venez d’interrompre trois processus cognitifs différents. Ce phénomène a un nom : le multitâche. Vénéré comme emblème de la modernité efficace, il pourrait bien être, en réalité, le saboteur silencieux de nos capacités mentales les plus précieuses. Et si la vraie intelligence consistait à faire moins, mais mieux ?
L’illusion cognitive du multitâche
Le multitâche ne reflète pas une capacité à faire plusieurs choses à la fois, mais plutôt une oscillation rapide entre différentes tâches. Le cerveau ne traite pas simultanément plusieurs flux d’information complexes : il bascule, à grande vitesse, d’un traitement à un autre. Ce va-et-vient, appelé « switching cost », engendre une perte d’efficacité mesurable, tant en temps qu’en précision.
Des recherches menées à Stanford ont montré que les individus adeptes du multitâche chronique sont en réalité plus facilement distraits, moins capables de filtrer les informations non pertinentes, et plus lents à revenir à une tâche initiale après interruption. Autrement dit : faire plusieurs choses à la fois rend moins apte à chacune d’elles.
L’attention fragmentée : une dette cognitive
Chaque interruption laisse une trace résiduelle. Lorsque nous changeons de tâche, une partie de notre cerveau reste suspendue à la précédente. Cette trace, souvent inconsciente, ralentit l’encodage de l’information nouvelle. Résultat : l’apprentissage devient superficiel, les erreurs se multiplient, et la mémoire à long terme s’effrite.
Des études en psychologie expérimentale ont démontré que les performances baissent de près de 40 % lorsqu’une tâche est exécutée en mode multitâche. En clair : la surcharge attentionnelle fait chuter notre capacité à comprendre, intégrer et restituer l’information.
Apprendre sous perfusion d’interruptions : un mal contemporain
À l’ère des notifications et du zapping permanent, apprendre devient un acte de résistance. Lire un article scientifique sans basculer sur un onglet YouTube est devenu un défi. Ce n’est pas un manque de volonté : c’est une architecture cognitive façonnée par l’environnement numérique. Or, l’apprentissage profond exige de l’intensité, de la continuité et de la disponibilité mentale — trois choses que le multitâche érode.
Dans une expérience menée par Glenn Wilson à l’Université de Londres, les participants distraits par des mails ou des appels voyaient leur QI temporairement baisser de 10 points — soit l’équivalent d’une nuit blanche.
Le coût psychique du multitâche
Le multitâche n’abîme pas seulement nos performances cognitives : il affecte aussi notre santé mentale. Sauter constamment d’une tâche à l’autre génère une forme insidieuse de stress mental, appelée surcharge cognitive. Loin d’être anodine, cette tension permanente peut provoquer fatigue, irritabilité, anxiété, voire confusion décisionnelle.
Notre cerveau n’est pas un serveur multitraitement. Il est câblé pour la séquence, pas pour le simultané. À vouloir le forcer à tout gérer à la fois, on finit par compromettre sa clarté, son endurance et sa capacité à discerner l’essentiel.
Faire une seule chose : un choix radical dans un monde dispersé
L’unitasking, ou concentration sur une seule tâche à la fois, n’est pas un retour nostalgique à la lenteur. C’est une contre-offensive cognitive. Se concentrer intensément sur une tâche unique active le « mode par défaut » du cerveau, réseau impliqué dans l’imagination, la consolidation de la mémoire et la pensée conceptuelle. En d’autres termes : c’est dans le silence de la distraction que la pensée devient profonde.
Travailler en bloc de 45 minutes sans interruption produit plus de résultats qu’une demi-journée de multitâche fragmenté. Ce n’est pas une croyance, mais un constat neurocognitif.
Trois stratégies (non-prescriptives) pour redonner du sens à l’attention
- Se donner la permission de l’immersion — Créez des espaces de concentration sans justification. Pas pour produire plus, mais pour habiter vraiment une tâche. Même dix minutes pleines d’attention sont une victoire contre la dispersion ambiante.
- Observer ce que la distraction fuit — À chaque saut de tâche, interrogez : qu’est-ce que j’évite ? Ennui, anxiété, fatigue ? Le multitâche est souvent une stratégie d’évitement plus qu’un besoin d’efficacité.
- Ralentir pour voir — Accomplir une seule tâche, en pleine présence, n’est pas un ralentissement : c’est une intensification. Lire un texte à voix haute, cuisiner sans écran, écrire sans retouche immédiate… ces gestes simples reprogramment notre rapport au temps et à l’esprit.
Multitâche et mémoire : une relation toxique
Le multitâche compromet non seulement l’apprentissage, mais aussi la mémoire. Lorsqu’une information est encodée de façon distraite, elle devient difficile à consolider. Les connexions synaptiques nécessaires à la mémorisation sont moins solides, moins durables. C’est comme écrire sur du sable au lieu de graver dans la pierre.
Loin de nous rendre plus performants, le multitâche nous rend plus oublieux, plus dispersés, et paradoxalement… plus lents.
Une société multitâche produit-t-elle une intelligence superficielle ?
La question n’est pas uniquement individuelle. Elle est culturelle. Si toute une génération apprend à apprendre en alternant TikTok, chat, podcast et devoirs, quels types de savoirs produit-elle ? Et surtout : à quelle profondeur ?
Certaines études suggèrent que le multitâche régulier peut altérer durablement les circuits de l’attention sélective. D’autres montrent un lien entre pratiques multitâches et diminution de l’intelligence fluide — notre capacité à raisonner dans des situations nouvelles.
Nous ne sommes pas face à une évolution technologique neutre, mais à une mutation cognitive collective. Ce que nous faisons à notre attention, nous le faisons à notre esprit.
Une attention pleine, pas pleine d’attention
Le multitâche est un piège doré : il donne l’illusion d’en faire plus, tout en dégradant notre capacité à comprendre, à retenir, à ressentir. Il dilue la pensée et fragmente l’existence. Inversement, l’attention unifiée est un acte de résistance intellectuelle, presque spirituel.
Faire moins, ce n’est pas ralentir. C’est s’offrir la possibilité d’apprendre vraiment, de créer avec profondeur, de vivre avec discernement. C’est honorer notre esprit dans ce qu’il a de plus rare : sa capacité à être là, pleinement.
Et vous ? Quels sont les moments où vous vous sentez réellement concentré ? Avez-vous tenté l’unitasking dans votre quotidien ?
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